Résumé de Texte

 Découverte de la tombe royale de Sésostris III

 

Le 15 juin 1894 j'avais cessé les travaux de recherches sous la pyramide septentrionale de briques. Les chaleurs étaient devenues si intenses à Dahchour que les ouvriers ne pouvaient plus travailler dans les galeries de mines comme à ciel ouvert, et que pour les personnes qui m'accompagnaient et pour moi-même le séjour dans le désert était devenu impossible.

Déjà j'avais exploré une bonne partie des terrains situés sous le monument royal, mes galeries avaient, à trois niveaux différents, dépassé le point de croisement des diagonales de la pyramide et je n'avais pas encore rencontré les appartements royaux.

Dans presque toutes les pyramides qui jusqu'alors avaient été explorées, on avait toujours rencontré la chambre royale située au milieu du monument, soit sous les premiers lits des matériaux dont il était composé, soit quelque peu engagé par sa partie supérieure dans les assises de la base. Dans tous les cas, les appartements avaient été construits dans une cavité creusée à ciel ouvert avant l'établissement de la pyramide. Un couloir incliné, partant de la base de la face nord, donnait accès dans les chambres royales.

Les travaux de mes prédécesseurs avaient nettement démontré que la chambre royale n'était pas engagée dans les assises inférieures de la pyramide. Un sondage au perforateur, exécuté dès le début des recherches, m'apprit bien vite que sous le centre du monument se trouvaient les roches géologiques en place. Mes trépans furent arrêtés par l'un de ces bancs siliceux si fréquents dans les grès du plateau de Dahchour. Il ne restait donc plus qu'une supposition à faire pour rentrer dans les théories acceptées et placer la chambre royale au centre, admettre que ces appartements avaient été construits dans un vaste souterrain, creusé à travers des bancs de la roche, tout comme il avait été fait pour les quatre tombes les plus importantes de la galerie des princesses.

Ces considérations me portèrent à diriger mes recherches vers le centre de la pyramide, et les trois galeries qui l'atteignirent à des niveaux différents ne rencontrèrent que les roches en place jusqu'à une profondeur de 12 mètres environ. Toutes les suppositions se trouvaient donc en défaut.

Les choses en étaient à ce point, lorsqu'au mois de novembre je recommençai les travaux. Mon premier soin fut d'établir un aérage artificiel, afin de procurer à mes ouvriers une respiration moins difficile, puis je boisai certaines parties des galeries que je considérais comme dangereuses. Ces travaux, je dus les exécuter de mes mains, car je n'avais pas d'ouvriers spéciaux. J'en profitai pour enseigner à une équipe les divers procédés de boisage des mines, afin de l'employer plus tard dans les recherches que je me proposais de faire sous la pyramide méridionale de briques.

Abandonnant dès lors les recherches sous le centre du monument, je me dirigeai vers l'ouest. dans l'intention de parcourir tout l'espace compris entre les deux diagonales qui, partant des angles du nord-ouest et du sud-ouest, se croisent au milieu de la pyramide.

Figure 1

Ces travaux ne furent pas de longue durée, car après quelques jours le pic des ouvriers pénétra dans une cavité. Je fus de suite prévenu et entrai le premier dans un rameau étroit que les spoliateurs de l'antiquité avaient creusé à la recherche d'autres chambres. Cette galerie tortueuse conduisait à une première salle A construite en calcaire de Tourah et dont les murailles étaient couvertes d'une série de dessins au trait dus aux spoliateurs. Plus loin étaient encore deux autres salles B, C se succédant vers l'ouest. La chambre principale, construite en énormes blocs de granit, renfermait le sarcophage. Au nord de la chambre du milieu s'ouvrait une porte D donnant accès dans un vestibule E qui lui-même donnait dans un long couloir F dirigé vers l'ouest.

figure 2

Au sud de la chambre C se trouvait la chambre à canopes K. Elle était en calcaire et murée primitivement par des blocs bien taillés de la même matière.  Le pillage y fut complet.

Au nord, en face de la chambre K, la paroi de granit offrait une baie rectangulaire fermée hermétiquement par une plaque épaisse de même granit. Les mesures étant prises, on constata que ce fut par cette ouverture qu'on introduisit le sarcophage royal qui sans cela n'avait pu passer ni par le couloir F, ni par aucune des portes donnant accès à la chambre funéraire.

Avant que la partie supérieure de la pyramide ne fût bâtie, on creusa un puits (qui se voit indiqué en pointillé à gauche de la lettre F) au bas duquel un couloir (en rouge) conduisait jusqu'à la chambre C. L'exploration de ce puits, qui devait être faite par dessous, était fort dangereuse, à cause de la chute nécessaire des matériaux qui le comblaient. Elle fut abandonnée.

figure 3

La figure 3 présente une coupe nord-sud selon les lettres F C, K rapprochées de cette direction et selon Taxe de la chambre K et du couloir d'entrée du sarcophage. La position du puits par rapport au couloir F  indiquée à la figure 2  montre que cette partie de l'édifice fut terminée postérieurement à l'entrée du sarcophage dans la chambre funéraire. On voit aussi que le puits et le couloir d'entrée furent ensuite soigneusement murés de briques. Enfin, au ras du sol est indiqué l'emplacement de deux longues poutres de bois qui avaient été disposées pour la réception du sarcophage descendant du puits et sa marche vers la chambre C.

Les chambres royales étaient remplies des débris provenant du rameau de mine fait jadis par les voleurs et par lequel j'étais entré dans le tombeau, l'extrémité de la galerie de l'ouest était aussi encombrée de sables qu'à première inspection je reconnus venir de la surface.   Le puits de l'entrée primitive n'était donc pas fort éloigné.

En reportant sur mes plans les données fournies par cette découverte, je précisai le point où se trouvait à la surface du sol l'orifice du puits. Il était situé presqu'au milieu du côté occidental de la pyramide, presqu'au pied du revêtement dans une partie que l'épaisseur des éboulis m'avait empêché de sonder pendant la campagne précédente.

Ce puits était rempli de sable, mais au-dessus de sa bouche se trouvait un lit de débris de calcaire blanc provenant de l'exploitation des blocs de revêtement de la pyramide. La violation du tombeau est donc antérieure à la destruction du monument. Or, nous savons par ailleurs que cette exploitation est due aux contemporains des Ramessides

C'est donc pendant la durée des six dynasties qui séparent la XIIe à la XIXe que les spoliations eurent lieu. On est tenté, bien qu'aucune preuve ne vienne à l'appui de cette opinion, de l'attribuer aux Pasteurs qui pendant trois siècles occupèrent la Basse Egypte.

Les Hyksos, qui n'avaient pas les mêmes croyances religieuses que les Égyptiens, n'étaient pas retenus par le respect des morts qu'ils considéraient certainement comme leurs vaincus. D'un autre côté ils furent certainement tentés par les richesses incalculables que renfermaient les tombes de la nécropole memphite.

Lorsqu'on examine les diverses pyramides, les tombes principales de Gizeh, de Saqqarah, de Dahchour et de Licht, on est frappé des travaux considérables auxquels durent se livrer les spoliateurs pour dévaster aussi complètement cette immense nécropole. La méthode suivie par les ouvriers pour la recherche et la destruction des tombeaux est toujours la même et montre de leur part une grande expérience. L'exploitation dura bien certainement un grand nombre d'années, elle ne put être aussi développée, aussi méthodique, sans s'exercer au grand jour, quasi officiellement. Or, il n'est pas admissible qu'une pareille industrie put s'établir en Egypte sous un gouvernement indigène, à la face des prêtres et des familles des défunts qui attachaient une si grande importance à la conservation des tombeaux. C'est seulement pendant une occupation étrangère, alors, que l'Egypte était terrorisée par les cruautés des envahisseurs que de semblables sacrilèges purent être commis sans exciter une véritable révolution dans Memphis et ses environs.

Les Hyksos ont laissé en Egypte le souvenir d'une conquête barbare et de toutes les atrocités : il est donc rationnel de leur attribuer le pillage des pyramides, puisqu'ils sont les seuls étrangers qui, de la  XIIe à la XIXe dynastie, soient demeurés en vainqueurs sur le sol de l'Egypte.

Mais toutes les tombes de la nécropole memphite n'avaient pas été violées, la spoliation, bien que méthodique, en avait oublié; la preuve en est que j'ai déjà rencontré une dizaine de tombeaux vierges de la XIIe  dynastie dont cinq appartenant à des princes et des princesses, mais les monuments principaux avaient été saccagés, les prêtres s'étaient dispersés et les gardiens enfuis. Dès lors, la ville des morts, abandonnée, fut livrée au pillage, à la destruction, on s'approvisionna de matériaux à ses temples et ses pyramides. Plus tard, les Arabes, continuant l'œuvre des étrangers de l'antiquité, exploitèrent le champ des momies, pénétrèrent dans les caveaux royaux espérant y trouver des cachettes oubliées par leurs précurseurs. Ils inscrivirent leur nom sur les murailles blanches des tombeaux.

J'ai fouillé à Dahchour un grand nombre de sépultures spoliées de la xn= dynastie; jamais je n'y ai rencontré de graffiti antérieurs à l'époque arabe, mais fréquemment j'ai vu des dessins grossiers d'hommes et d'animaux, tracés rapidement sur les murs et qui par leurs caractères ne peuvent être attribués aux musulmans.

Les graffiti du tombeau d'Ousertesen III ont été tracés par les ouvriers qui creusaient la galerie par laquelle je suis arrivé dans les chambres royales; ils sont en désordre sur les murs et dénotent de la part de leurs auteurs le simple désir de passer leur temps pendant que leurs camarades travaillaient au fond de la mine

A la première inspection, on voit que les dessinateurs de ces scènes et de ces portraits, tout en étant peu expérimentés, possédaient des principes tout différents de ceux des artistes égyptiens, le trait d'un personnage pharaonique, entre autres, est étranger aux règles observées par les Égyptiens,  Puis vient une série de bustes représentant des hommes au nez droit, portant la moustache, coiffés d'une manière singulière et que rien ne rappelle dans les dessins que nous possédons de l'antiquité.

Cet ensemble présente un aspect étranger bien caractérisé. Malheureusement, aucune inscription ne vient nous donner la clef de l'énigme et nous en sommes réduits aux suppositions.

Dès le puits ouvert, dès qu'un courant d'air permit de reprendre les travaux, je fis de suite enlever les débris qui encombraient le tombeau. Aucun objet, portant des textes, ne fut rencontré, seuls quelques vases déterre et les morceaux d'un poignard de bronze à pommeau d'ivoire restait de tous les trésors jadis entassés dans ces chambres.

Le sarcophage, magnifique pièce de granit rose d'Assouan, avait été ouvert et pillé à tel point qu'il n'y restait même pas des poussières. Il représente une forteresse avec ses tours, ses portes et son chemin de ronde. Ce type très fréquent à la XIIe dynastie est presque général dans les tombeaux de Dahchour, mais jusque-là je n'avais pas encore rencontré de monument ainsi parfait.

 

Bibliographie

Fouilles à Dahchour en 1894-1895 J de Morgan

Dessins Travail personnel Egypte Eternelle d’après les originaux de J de Morgan