LES CHIFFONNIERS DU CAIRE
Les premiers zabbâlin, à la fin du XIXe siècle en charge de la collecte des déchets sont des musulmans, originaires des oasis libyques : les Wâhiya (oasiens sing : wâhî). En échange d’un droit acheté aux propriétaires, ils ont accès aux ordures qu’ils revendent comme combustible. Ils bénéficient aussi des sommes mensuelles versées par les habitants en échange de leur service : jusqu’aux années 1980. Zabbâlin (singulier. zabbâl, la poubelle, le déchet) que l'on prononce zabaline, se traduit par chiffonnier
Les zabbâlin actuels sont les fils et les filles des paysans qui ont commencé à émigrer de la Haute-Egypte dans les années 30. Ces émigrés ruraux ont décidé de tenter leur chance, en quête d'une vie meilleure, au Caire, fuyant la pauvreté, non préparés à la vie urbaine, et formés pour trouver des emplois, ils ont construit des maisons de fortune aux alentours du Caire. Pour assurer leur survie, ils élevèrent des animaux (chèvres, oies, poulets). Cherchant des emplois où ils le pouvaient, ils finirent par rencontrer les wâhî originaires des oasis du Désert occidental, avaient créé leur propre marché en négociant avec les foyers cairotes la collecte de leurs déchets.
.Au fil des années, de plus en plus de familles émigrèrent de la Haute-Egypte pour se joindre à ces activités de collecte des déchets, devenant les zabbâlin du Caire. La plupart, décidèrent de se rassembler dans les escarpements et les carrières de Mokattam, en bordure de la ville. Aux yeux de la majorité des Cairotes, Mokattam devint synonyme de saleté, de déchets et de pauvreté.
Ses habitants, chrétiens coptes pour la plupart, recueillent et recyclent les ordures . La colline est une sorte d'immense décharge, l'odeur prend à la gorge, dans les rues, un balai incessant de camions chargés de sacs venus du Caire et destinés à être triés.
Il y a l'odeur, la crasse, la misère; tout cela accentué par une chape de chaleur ... à vous couper le souffle, mais malheureusement pas l'odorat. Il y a tout ça, tout ce qui rebute. Et pourtant, ici ... les gens vous sourient. On sent qu'ils savent encore ce que c'est de vivre ensemble. Dans cette rue sale et poussiéreuse ce n'est pas la chaleur du soleil que j'ai ressentie. C'est la chaleur humaine. La vraie.
LEURS VIES
TOUTE LA FAMILLE TRAVAILLE
Devant la cabane, le père de Taki a soulevé la planche arrière de sa charrette et dressé les brancards pour que les ordures glissent plus facilement, en soulevant un nuage de poussière. Toute la famille est rassemblée ; la mère de Taki et ses enfants vont trier à mains nues, et pendant des heures, les déchets de la vie urbaine. La plus grande partie de ces ordures est composée de déchets alimentaires : épluchures de légumes et de fruits. Ce qui est encore comestible sera récupéré par la famille ; le reste engraissera les cochons. C'est avec une dextérité étonnante que des tas se forment peu à peu : boîtes de conserve, déchets de métaux et de bois, boites et bouteilles de plastique, débris de verre, chiffons, papiers, etc... Tout est revendu ; ce qui est jugé inutilisable est finalement transporté, à l'aide de grands bacs, de l'autre côté de la rue, où l'amoncellement des ordures finira par former des monticules plus élevés que les cahutes d'habitation !
VIVRE DANS UNE CABANE
La nuit tombe. Taki et les siens s'entassent comme ils peuvent dans l'unique pièce : une surface de 4x4 mètres pour dix personnes. Leur cabane ne se différencie pas de celle des autres chiffonniers du bidonville : quatre poteaux de bois permettent de soutenir un fragile assemblage de bidons récupérés et aplatis, de tôles rouillées, de déchets de contre-plaqué et vieux cartons. Le toit est fait de palmes séchées. Pas de fenêtre, pas d'électricité, pas d'eau. Une seule pompe, située à quelque distance, est installée pour 4000 personnes. Chaque jour, la mère de Taki prépare le seul plat du repas : des fèves. La famille, assise en cercle sur le sol de terre battue, trempe des morceaux de pain dans la casserole placée au centre.
Après avoir bu un verre de thé, on étend de vieilles nattes par terre et chacun tente de trouver un sommeil réparateur, malgré la température qui dépasse souvent 40 degrés, les odeurs pestilentielles, les moustiques, les puces, les cafards et les rats qui eux ne se reposent jamais ! Cette concentration insalubre est propice au développement des maladies, le tétanos y fait des ravages surtout parmi les enfants, et il n'y a aucune possibilité d'atteindre un médecin. Les écoles d'État ne peuvent pas être fréquentées par ces enfants, elles sont trop éloignées et puis on a besoind'eux pour travailler! Nés dans les ordures, ils y vivent et y meurent.
Le bidonville ne connaît jamais le silence : souvent, pendant la nuit, des bébés pleurent, des chiens sauvages aboient, des cochons grognent, des fines braient, des rats rongent, des moustiques zonzonnent ! Selon la saison et les heures de la journée, on y étouffe de chaleur ou on y grelotte de froid.
LES FEMMES ET LES ENFANTS
La vie des femmes est extrêmement dure, elles sont plus ou moins des esclaves. Dès l'âge de douze ans, on marie les filles. A partir de ce jour elles donnent naissance à un enfant chaque année. Elles accouchent dans leur cabane et l'absence d'un minimum d'hygiène fait mourir un enfant sur quatre avant qu'il ait atteint sa première année. Dans cet univers terrible, les enfants sont l'unique joie des femmes, ce qui rend d'autant plus triste la perte de l'un d'eux. Mais la natalité galopante fait que partout les enfants grouillent. Certains d'entre eux courent pieds nus sur les montagnes d'ordures, grimpent à l'assaut des sacs qui s'amoncellent, pataugent dans les flaques lorsqu'il pleut. Les blessures sont fréquentes, parfois elles s'infectent et l'absence de médecin ne contribue pas à dépister les signes du tétanos.
Bibliographie
Poème : extrait de la pièce Jours Ordinaires au Mokattam de Jean-Paul Cathala
Leurs vies : Textes extraits de "LA FORCE CACHÉE''