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LE RITUEL DE  LA FONDATION DU TEMPLE

Ce texte est en partie  élaboré avec des extraits de l’article de Pierre Montet

 

PROLOGUE

 La réalité : Pour réaliser les fondations d’un temple,  on creusait une excavation carrée ou rectangulaire profonde de deux mètres ou davantage. Ses contours étaient précisés par un mur-caisson. L’intérieur était empli de sable fin jusqu’au bord. Les dépôts de fondation étaient mis en place, aux angles, sous une mince couche de sable et protégés par la pierre angulaire. Tous ces travaux longs et pénibles exigeaient une  nombreuse main d’œuvre, pourtant sur les murs des temples, et principalement à l’époque ptolémaïque  on ne voit nulle part des équipes d’ouvriers transportant de la terre ou du sable, ou traînant des blocs pesants. Les décorateurs ont réduit à deux ou trois le nombre des acteurs et se contentant de quelques gestes symboliques.

Le Mythe

Le roi est censé tout faire lui-même. Il donne un coup de pioche et une vaste excavation est tout de suite creusée. Il confectionne une brique et les briques sont assez nombreuses pour que l’on puisse construire  un mur caisson. Il verse un couffin de sable et voilà le mur-caisson plein jusqu’au bord. Les décorateurs ont constitué un répertoire de dix scènes que l’on retrouve rarement au complet en un même lieu et dont l’ordre est loin d’être constant. A Edfou on trouve ses dix scènes au complet partagées en en deux séries sur les parois Est et Ouest de la salle hypostyle. C’est donc cet ordre que nous allons décrire ces scènes et interpréter les titres et les formules qui les accompagnent.  A Edfou, on a également  sur la face externe du mur d’enceinte une succession de 9 scènes dont 4 scènes supplémentaires de purification. L’ordre ne diffère de celui que nous allons qu’en un seul point. La scène V, mouler la brique a été placée après le remplissage de sable et la mise en place du dépôt de fondation, ce qui est manifestement une erreur

LES SCENES

oeil I Se lever dans le palais. Coucher dans le temple 

Le roi sort du palais précédé d’Inmoutef et des enseignes d’Oupouaout, de Thot et du placenta royal. Le prêtre est Iounmoutef  qui remplit  un petit encensoir de boulettes d’encens. Il est clair que nous sommes dans un monde surnaturel. On ne dit pas où se trouve le palais royal, à Memphis, à Thèbes ou dans une autre capitale, proche ou lointaine ? Ce qui est sûr c’est que le roi, dès son lever a décidé de se rendre sur le lieu où doit s’élever un temple et que quel que soit  le temps exigé pour ce voyage, il y passera la nuit. Il quitte son palais avec le cérémonial des grands jours.

oeil II Aller, venir. Monter au temple 

Le roi ayant quitté le palais, le rôle d’Inmoutef et des enseignes est terminé. Cependant il ne saurait être question de l’abandonner sur la route. Hathor et Horus et d’autres divinités vont se joindre à lui à l’aller comme au retour. Les opérations qui vont maintenant s’accomplir exigeront du temps et le roi devra plusieurs fois rentrer au palais et en repartir.

C’est Inmoutef et Hathor, Dame de Iouni  qui font entrer le roi dans la grande place pour tendre le cordeau au Siège d’Horus sur le sol, depuis la fondation de la terre. Il voit son père dont la face resplendit quand il se couche sur les monuments qu’il a faits.

oeil III Tendre le cordeau entre deux piquets  (Le véritable travail commence ici)

Le roi et Séchât enfoncent des piquets, deux en apparence, en fait quatre qui marqueront les quatre angles du temple et pour que les résultats de leur travail soient plus apparents, ils tendront un cordeau sans fin sur ces quatre piquets. Ainsi on aura les angles et les côtés du futur édifice.

Cependant cette opération a été précédée de recherches plus difficiles. Le roi, une nuit de pleine lune, s’est rendu sur le lieu choisi avec Seschat, pour y passer la nuit. Il va observer le mouvement des étoiles, de la Grande Ourse, et se servir du Merket (mrht) dont le maniement était délicat, et en principe confié à des dieux tels que Thot ou Sia.

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 Le roi est aidé par Séchât, déesse savante qui est la dame des écrits, la dame de la maison des livres et des fondations, chef de la maison de vie. Il est lui-même à cette occasion comparé au babouin divin que Séchât a élevé, c'est-à-dire à Thot ou encore à Sia, dieu de la connaissance. Le roi et Séchât debout l'un en face de l'autre enfoncent deux piquets dans le sol avec une massue tout en maintenant tendue à la hauteur des genoux une courroie sans fin. Horus est là comme témoin

Le merkhet.  La nuit il servait à des observations astronomiques pour connaitre un point cardinal en fonction de l’astre choisi. Le jour utilisé comme cadran solaire, il permettait  aussi de savoir l'heure.  Il se compose de deux pièces indépendantes, d'abord une règle coudée formant angle droit à laquelle était accroché un fil à plomb. On peut y lire : « Je connais la marche du soleil, de la lune et des étoiles, chacun à sa place ». L'autre pièce est une règle fendue.

Par la fente l'opérateur cherchait à voir le fil à plomb tenu par un aide placé à quelque distance et une étoile déterminée. Ainsi équipé le roi observe le ciel. Il se place en face de la Grande Ourse et se règle sur la marche des étoiles. « Ainsi seront fixés les quatre angles du temple ».

 Discours: J’ai saisi un piquet, j’ai empoigné la massue dirigeant nos deux faces d’après la marche des étoiles, faisant entrer notre vue sur la Grande Ourse (msht). Celui qui tue le temps (Sk-`h` = Thot) est à côté de sa merkhet. Ainsi je fixe les quatre angles de ton temple.

Le roi : Vive le dieu bon, image du babouin, divin, qui emploie la merkbhet comme Sek-Âhâ.  Observant  la marche fondant la place des Deux-Faucons au lieu où elle doit être.

 Le roi : Le dieu bienfaisant qui connaît la merkbhet à l’instar du dieu de la connaissance (Sia), qui dévide la pelote comme Séchât : Vive le dieu bon qui bâtit les deux chapelles, tend le cordeau dans le temple, dévide la pelote dans les villes et dans les nomes, qui tourne (sur le tour à potier) ce qui était vétuste dans les temples, organise la maison de son auguste père.

oeil IV Piocher la terre

Atteindre la limite du sol pour sanctifier les monuments. Le roi se contentera évidemment du premier coup de pioche. Après lui une équipe d'ouvriers prendra possession du terrain et creusera, en utilisant des outils variés, une excavation qui doit au moins en principe atteindre la nappe d'eau souterraine.

Bien que la scène soit toujours la même ce travail comportait différentes actions (exprimées par les verbes bzy, ‘nd, hb). Il exigeait la réunion de nombreux ouvriers et manœuvres, tant pour entamer le terrain que pour enlever les déblais. La pioche dont se sert le roi est la pioche archaïque, (hnn).L’excavation était limitée par les piquets et les cordeaux et sa profondeur par l’eau souterraine qui, en Égypte n’est jamais très loin du sol. On était sûr d’avoir un niveau bien horizontal. Celle-ci dans le Delta n'est actuellement qu'à un mètre ou deux du sol

Discours: Le roi : J’ai saisi la pioche (hnn) J’ai empoigné la houe du Nord (b`y mht). J’ai creusé la fondation du temple. J’ai défoncé pour toi la terre jusqu’à la limite du Noun pour parachever ton travail pour l’éternité. Joie de fortifier ton monument.

Horus.: Je connais ton travail. J’ai vu ton ardeur ... sur tes deux bras. La terre t’est attribuée jusqu’au Noun sur ses quatre côtés jusqu’à ..... de Gebeb. A toi sont les arbres. Tu es leur maître.

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 V Mouler la brique aux quatre coins du temple.

Confection des briques : La matière première est le limon que l’on rend malléable en l’humectant et en le piétinant. On y incorpore de la paille. L’ouvrier ayant installé devant lui son moule le remplit avec le mélange, enlève l’excédent avec la main, puis il retire la brique sans la briser et la pose sur le sol à côté de celles qui sont déjà en train de sécher. Le roi utilise un moule du type ordinaire, mais comme il doit rester debout, on a installé devant lui un établi. C’est avec une sorte de règle qu’il enlève l’excédent de limon. Le roi ne fera qu'inaugurer l'opération. Des ouvriers le remplaceront, fabriqueront un grand nombre de briques, les mettront à sécher et ensuite les emploieront

 Discours : Formule : J’ai manié le moule. J’ai moulé la brique. J’ai brassé la terre et l’eau. J’ai créé ton reposoir pour fonder ta maison, pour faire durer les quatre angles de ton temple, pour rajeunir tes lieux qui étaient ruinés, polir bâtir ce qui était vétuste dans tes deux régions.

Le roi : Vive le dieu bon qui brasse le limon avec la paille, qui moule la brique dans le moule à brique, qui crée un reposoir pour fonder les châteaux de la nourrice, pour bâtir une maison, fonder la fondation pour son auguste père.

La brique moulée par le roi symbolise les milliers de briques qui seront nécessaires pour construire le mur-caisson indispensable pour constituer les fondations solides sur lesquelles s’élèvera l’édifice et en particulier pour assurer la durée de ses quatre angles, partie faible de ces lourds monuments.

oeil VI Verser du sable comme il se doit pour solidifier le travail dans la grande place

Au moment où s’ouvre la scène 5 le terrain sacré a la forme d’une excavation rectangulaire allant jusqu’à l’eau souterraine défendue contre les éboulements par ses quatre murs de brique crue. Il faut maintenant l’emplir de sable jusqu’au haut des murs afin de constituer la base sur laquelle pourra s’élever l’édifice. Le sable, du moment qu’on l’empêche de glisser, est absolument incompressible, Lorsque le mur-caisson était incomplet, le sable simplement maintenu par la terre compacte pouvait glisser.La corvée de sable est mise sous la protection du dieu Ha, le seigneur du Sahara. Les dieux ayant soumis les Herioucha (Bédouins), ceux qui sont sur le sable en ont fait don au Pharaon qui est assuré de ne pas manquer de matière première

Le roi verse un couffin de, sable dans le caisson destiné à le retenir. Pour ce travail il doit compter sur l'amitié du dieu Ha qui est le seigneur du Sahara et par conséquent le maître du sable, car il en faudra beaucoup pour parachever la tâche, c'est-à-dire pour atteindre le bord supérieur du mur-caisson. Avec une équerre munie d'un fil à plomb le roi vérifiera si la surface est parfaitement horizontale.

Discours : J’ai pris un couffin débordant de sable. Je comble son terrain selon la règle. Son niveau (1) est sur lui pour supprimer sa destruction. J’établis la fondation de ton temple comme le fils ici présent qui fait ce qui est utile à son père, le plan de son monument avec un cœur aimant. (1) une équerre munie d’un fil à plomb permettait de vérifier l’horizontalité de la couche de sable. On n’avait qu’à le poser sur une planche

 

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Horus : Dit par Horus Behedite qui massacre les pays étrangers, le dieu grand qui immole les Degaÿ, frappe les lountiou, piétine les Mantoue, décapite les Aamou et les Tjéhénou. Je t’ai donné les Herioucha avec leurs produits pour consacrer leurs impôts à ta maison.

Le roi : Vive le dieu bon, héritier du prince, jeune de Ha seigneur de l’Occident, maître de Ta-our, fils d’Ouennefer, vaillant d’épaules comme Anubis, qui nivelle les terrains en fondant les murailles.

 

oeil VII Mettre des briques d'or et de pierre aux quatre coins du temple. 

 Ces briques ou plaquettes sont les dépôts de fondation  que l’on trouve taux quatre angles du quadrilatère délimité par le mur-caisson. Elles peuvent être en faïence, en or, argent et cuivre, en pierres variées. Les dépôts de fondation trouvés à Tanis comprenaient  des plaquettes, des récipients, des outils et des imitations d’offrandes, le tout de très petit format. Certaines plaquettes portent le cartouche du roi constructeur, gravé ou tracé suivant les cas. Ces inscriptions constituent une véritable prise de possession du terrain par le roi, elles affirmer les droits du constructeur sur le terrain et assurer sa protection.

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Le roi porte à deux mains un plateau chargé de dix-sept briquettes. Les matières sont l'or, le bronze, le lapis-lazuli, la turquoise et d'autres pierres précieuses. Le roi se prépare donc à faire un dépôt de fondation. Lorsque les dépôts ont été mis en place et recouverts d'une mince couche de sable le sous-sol est prêt et l'on peut commencer à bâtir

 

Discours : J’ai pris des plaquettes d’or et de pierre, et des autres matières dont la liste est conforme à l’énumération de Thot au commencement. J’ai fait cette chose aux quatre angles de ton temple pour parachever ton travail pour l’éternité.

 

Horus : Je t’ai donné un palais dont le travail est parfait en tout. J’ai reçu tes envois en or et pierre, en argent et en cuivre, en lapis, choses. Je t’ai donné les deux falaises pour t’offrir toutes les merveilles de leur sein.

VIII  Bâtir le temple

Armé d'un levier le roi pousse la première pierre dans un angle. Le levier qu'utilise le roi pour mettre en place la première pierre est en bois. Les Égyptiens n'étaient pas capables de fabriquer, même à l'époque ptolémaïque, des leviers de fer. Sans doute les leviers de bois devaient souvent se casser, mais le texte est formel au sujet de leur emploi. La première pierre une fois placée, les architectes et les maçons prenaient possession du terrain, mais le rituel de fondation ne s'occupe pas de leur travail. Quand le temple sera achevé le roi reviendra pour la neuvième scène.

 

Discours : J’ai saisi un levier (1) avec mes deux propres mains, travaillant pour bâtir ton temple. Je complète pour toi la règle. Je réunis pour toi les écrits en toute sorte de ....en ton temple, en action parfaite en pierre blanche et belle.....

Horus : Je te donne la vaillance de Râ à tes deux bras, la force de Montou à tes membres.

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IX Répandre le natron autour du sanctuaire pour purifier le lieu du sacrifice à son maître

Il existait à portée des Égyptiens deux gisements de natron, l'un près d'El Kab, l'autre à l'Ouest du Delta qui a donné son nom à l’Ouadi Natroun. C'est pourquoi le roi invoque la déesse d'El Kab, Nekhebet, que les Grecs ont appelée Eileithya. Le temple est figuré symboliquement par un simple naos beaucoup plus petit que le roi. Celui-ci tient la massue dans sa main gauche et avec la droite lance le natron qui forme une traînée autour du sanctuaire. On ne se contente pas toujours de la seule purification par le natron. Un bas-relief d'Edfou fait état de cinq autres purifications obtenues avec la résine de térébinthe importée de Byblos ou de Chypre, avec quatre vases d'albâtre, avec quatre pots de terre rouge, avec des grains du Sud et des grains du Nord. Après les purifications il n'y avait plus qu'à remettre solennellement la maison à son maître

 Formule : Ce natron, c’est ce qui sort de Nekhebet, les ... de Cherp. j’ai saupoudré ta maison, purifié ta place, éloigné le mal autour de ton temple. T’ai chassé l’iniquité dans ton château, détruit le mensonge dans ton château. Faucon des faucons j’ai anéanti la rébellion contre ton tombeau. Répandant le besen dans le sanctuaire de son ancêtre, semant le natron dans son temple.

Le roi : Vive le dieu bon, pur de bras quand il répand le besen dans le temple. Pur est le Siège pour l’Horus d’or, la Grande place pour le disque ailé, pur est le palais du Taureau vaillant.

 

oeil X Remettre solennellement la maison à son maître

Le roi qui tient d’une main le sceptre et la massue désigne à Horus de sa main libre l’édifice achevé représenté symboliquement comme dans la scène précédente comme un petit naos

La maison est représentée de la même manière que dans la scène précédente. Le roi tient avec la main gauche, une grande canne et une massue. Il garde la main droite libre pour désigner l'édifice terminé au dieu qui est venu en prendre livraison. Le culte peut commencer.

L’édifice construit et purifié ne saurait cependant être remis au clergé qui doit y célébrer le culte divin sans une cérémonie solennelle qui consiste à remettre la maison à son maître. Cette cérémonie est déjà représentée sur les stèles des appartements souterrains de Djeser où le roi muni d’une massue et d’une canne, précédé de deux enseignes se tient debout devant une inscription contenant le nom de l’édifice.

BIBLIOGRAPHIE

PIERRE MONTET          LE RITUEL DE FONDATION DES TEMPLES ÉGYPTIENS